PÉRIGNAC : PAICHEL ET LE TRÉSOR D’ANAKILIMON

Les villageois travaillèrent toute la journée à confectionner des genres de grosses poupées de feuilles pendant que Paichel roulait les billes de bois des Ba-Na-Nutes jusqu’au sommet d’une haute colline arrondie d’où il pouvait voir le petit village. Son intention n’était pas de faire rouler ces boules sur les envahisseurs, mais simplement créer une diversion en les faisant passer devant le village à toute allure. Notre homme travailla durement jusqu’à la nuit et prit un repos bien mérité sur son observatoire en se disant que les Yopis n’attaqueraient sûrement pas avant l’aube.

Pendant son absence, Anakilimon en profita pour venir discuter avec Nelu et les autres. Il passa évidemment pour le vrai missionnaire, mais les Ba-Na-Nutes furent tout de même surpris de son changement d’attitude puisqu’il leur proposait d’aller se jeter d’eux-mêmes dans le coffre des Yopis. Il n’hésita pas à dévoiler le secret du miroir en disant d’une voix rassurante :

- Il n’existe aucun monstre au fond du coffre, mais un miroir qui possède deux pouvoirs. Le premier est de laisser voir la véritable nature de celui qui se regarde en ouvrant le coffre et le deuxième est encore plus mystérieux puisqu’il permet de traverser dans une autre époque. Tous ceux qui ont été jeté dans le coffre vivent présentement dans une magnifique forêt verte. Vous comprenez maintenant comment les descendants de Bananus retournèrent en Amérique pour y devenir une race de singes encore plus évoluée que les Atlantes.

- Encore plus évoluée?, demanda Nelu d’une voix étonnée. N’est-ce pas prétentieux de comparer les Ba-Na-Nutes aux Atlantes? C’est toi qui disais que les Yopis sont des imbéciles pour oser se prétendre les descendants des Atlantes.

- Il est vrai que les Yopis et la Ba-Na-Nutes ne sont pas les descendants de cette race, mais vous serez tout de même leurs héritiers lorsque l’Atlantide disparaîtra de la carte du monde. Il existe une colonie atlante dans cette forêt verte qui ne demande pas mieux que d’instruire les Ba-Na-Nutes et les Yopis de bonne volonté. Je sais que vous en serez dignes puisque Primus Tasal parle de ses ancêtres avec le plus grand respect. Donc, il faut un début et une fin à toute chose. Vous êtes les pionniers de cette race et Primus en est le dernier représentant. Si vous refusez d’aller vivre dans cette forêt, Primus Tasal cessera d’exister. C’est logique n’est-ce pas?

- Oui, pas d’ancêtres, pas de descendants et pas de Primus Tasal pour se prétendre le dernier de notre race, lui dit un naturel en riant.

- C’est exactement cela qui arrivera dans le cas où vous décideriez de ne pas quitter l’Australie comme c’est écrit dans le GRAND LIVRE DE L’HISTOIRE VÉCUE. Vous pouvez changer le cours des événements puisque votre refus effacera tout ce qui concerne l’existence de votre race en Amérique. Personne ne parlera des Maîtres de la forêt verte et encore moins de Primus Tasal. Croyez-moi, il y a une foule d’événements qui pourraient changer le cours de l’évolution humaine et qui se sont effacés dans le Grand Livre pour différentes raisons. Je vais vous en donner un exemple remarquable : les fourmis et les rats devaient logiquement dépasser l’Homme dans sa course vers la métamorphose du simple instinct en conscience d’être. Les fourmis étaient mieux organisées que l’Homme pour développer une société, des règles et des lois. Mais elles demeurent encore au rang de simples insectes, tout comme les rats ne dépassent pas celui des animaux. Puis, pourquoi le singe intelligent cédera finalement sa place à l’homme est peut-être un mystère pour vous mais non pour Primus Tasal. Il y avait deux voies possibles pour garantir la survie de l’espèce humaine sur Terre. L’homme et le singe furent longtemps sur le même chemin jusqu’au moment où un INCIDENT INTEMPOREL donna lieu à la naissance de Bananus. N’oubliez jamais qu’il n’aurait pu exister si une femme n’avait pas été envoyée à l’époque des dinosaures par le couloir Intemporel. Les conséquences furent d’abord la naissance d’une race de singes intelligents qui étaient finalement des humains et ensuite, le danger de voir basculer l’évolution normale de l’homme à cause des descendants d’Aurore.

- Tu veux dire que nous sommes une menace pour le développement de la pensée humaine, n’est-ce pas?, lui demanda Nelu d’une voix troublée.

- Disons plutôt que ce n’est pas normal de rencontrer des humains à une époque où la vie humaine n’existait pas encore sur Terre. Il est évident que cet incident risque de compromettre l’histoire de l’humanité à cause de Bananus qui devança malgré lui les étapes de l’évolution. Personne ne pourrait l’accuser d’avoir été humain avant l’homme lui-même, mais admettez que cette situation historique va à l’envers de toute logique.

- Je t’ai dit que la réalité est trompeuse, lui répondit Nelu en riant de bon coeur. Si j’ai bien saisi tes propos, il est peu probable que les Ba-Na-Nutes se fassent inclure dans l’évolution humaine par ceux qui rechercheront un jour à retracer leurs origines. Nous passerons toujours pour des singes, quoi que nous fassions pour prouver le contraire?

- J’en ai bien l’impression, lui répondit le missionnaire sans hésiter. Normalement, vous ne devriez même pas exister dans le temps, mais ce n’est pas le cas. Par conséquent, vous aurez un rôle important à jouer dans l’évolution humaine sans pour autant vous attendre à vous faire reconnaître par les historiens du futur. Je vous disais qu’il existe une possibilité de changer le cours des événements qui s’inscrivent véritablement dans une sorte de sillon intemporel que rien ne peut effacer de l’histoire de la Vie. C’est différent avec les choses temporelles qui disparaissent au fil des événements puisque ceux-ci se succèdent dans le temps en s’effaçant les uns après les autres pour simplement laisser leurs empreintes dans les SOUVENIRS. En ce qui vous concerne, vous existerez toujours dans l’histoire officielle du Grand Livre de la Vie, mais les hommes vous désignerons simplement comme le chaînon manquant de leur évolution. Ils ne comprendront pas qu’il aura fallu une race intermédiaire entre l’homme et le singe qui portait simplement le nom de Ba-Na-Nutes.

- Nous sommes donc destinés à demeurer injustement les frères inconnus des hommes et des singes?, lui demanda un villageois en pleurant discrètement.

- Non, vous êtes une force extraordinaire puisque c’est votre race qui aidera les hommes de l’ère paléolithique ou de l’âge de pierre, à prendre conscience de leur humanisation. Votre travail va se poursuivre jusqu’à cette période où les hommes de Carnac dressaient d’imposantes structures de pierre qu’on désignera un jour par dolmen. Ces hommes de l’ère mégalithique seront vos derniers élèves puisque votre race va disparaître subitement après un événement que je n’ai pas le droit de vous révéler. Toutefois, Primus Tasal survivra et poursuivra votre oeuvre en aidant les hommes à évoluer malgré leur incessante soif de pouvoir et de destruction.

- Si nous refusons ce rôle, nous ferons quoi en demeurant ici?

- Écoute Nelu, je vais te le dire sans détour : vous régresserez lentement jusqu’au point de devenir des singes communs. Sans cette colonie Atlante pour vous instruire, votre instinct animal prendra le dessus puisque vous n’êtes pas de vrais hommes physiquement et même Primus Tasal ne ressemblera jamais à l’homme mais au singe. Vous avez un rôle important à jouer dans l’histoire de la Vie, une mission à accomplir et une MARQUE à laisser dans le monde comme une légende qui hantera l’esprit de l’homme après votre disparition. Je vais vous faire une révélation au sujet de cette étrange évolution des espèces sur Terre. Je vous ai dit que les fourmis, les rats et les singes pouvaient logiquement développer une intelligence et une conscience. Mais si cela n’est pas arrivé, c’est simplement parce que la conscience ne vient pas de l’évolution, mais de l’universel. Oui, il a fallu que la Grande Pensée Universelle pénètre dans l’homme pour qu’il recherche ensuite son origine et qu’il se questionne sur la PENSÉE CRÉATRICE. Une chose est certaine, l’homme est le fils de la Terre comme espèce et l’enfant de l’Univers par sa conscience.

Les Ba-Na-Nutes embrassèrent le missionnaire sur la joue avant de suivre Nelu jusqu’au village des Yopis qui les firent aussitôt prisonniers. Mais Anakilimon les suivit de loin et se glissa discrètement dans la hutte de Yoma pour lui dire d’une voix autoritaire :

- Qu’attends-tu pour les faire jeter dans le coffre? Ils se sont livrés d’eux-mêmes et sans combattre afin de se sacrifier pour vous. Comment peux-tu prendre plaisir à les ligoter et à les priver de leur dignité?

- Ils sont mes prisonniers et c’est moi qui déciderai quand sera l’heure des sacrifices, lui répondit le chef en haussant le ton.

- Vraiment?

- C’est moi le chef.

- Cela ne t’autorise pas à jouer au vainqueur à ce que je sache! On doit faire des prisonniers pendant la guerre et non avant celle-ci. Libère tes prisonniers et donne-leurs des armes pour qu’ils puissent combattre tes guerriers. S’ils perdent, tu les feras prisonniers et si c’est le contraire, accepte de te laisser ligoter à ton tour.

- Pourquoi devrais-je respecter les règles de ton jeu? J’ai tous les Ba-Na-Nutes sous ma gouverne et c’est cela qui importe. Je dois m’assurer de nourrir Nimala sans perdre les membres de ma tribu. Mes prisonniers seront tous sacrifiés selon un plan précis que j’ai établi avec mes chefs guerriers. Nous avons remarqué que le coffre brille pendant la nuit où la lune est ronde. C’est sans doute pour nous indiquer que Nimala a faim de victimes.

- Non, comme ce coffre est en or, c’est normal qu’il luise le soir de la pleine lune, lui répondit le missionnaire.

- C’est ton opinion et non la mienne. Je veux que Nimala soit nourri uniquement lorsque la lune est ronde et ainsi, un prisonnier prendra la place d’un Yopis. Notre tribu pourra s’accroître et celle de nos voisins disparaîtra graduellement au cours des années.

- Oh! Mais c’est du bétail pour nourrir ton Nimala que tu veux et non des sacrifices?

- C’est la même chose en ce qui me concerne. Je vais même obliger les Ba-Na-Nutes à procréer pour qu’ils assurent eux-mêmes une descendance destinée à ce sacrifice.

- Pas vrai! Non seulement tu veux des prisonniers, mais également des esclaves? Puis, comment comptes-tu nourrir ton bétail?

- Ils devront également nourrir ma tribu en pêchant pour nous. S’ils nous rapportent un surplus de poissons, ils auront le droit de le consommer, mais si ce n’est pas le cas, ils devront se contenter de fruits légumes.

- Dis-donc, tu es vraiment plus évolué que je le croyais! Tu sais, même le gorille ne saurait inventer une telle tyrannie et ce goût morbide pour le pouvoir. Entends-tu ce que j’entends?

Anakilimon plaça sa main droite derrière son oreille avant de secouer tristement la tête.

- Qu’est-ce que c’est?, lui demanda Yoma d’une voix craintive.

- Je pense que c’est ce chien féroce qui rôde autour de ta hutte depuis mon arrivée. J’étais convaincu que tu refuserais de m’écouter puisque tu es une bête qui se prend pour un humain. Donc, je vais te laisser en compagnie d’une autre bête en espérant que tu changes d’avis au sujet de tes prisonniers.

- Reste, je te l’ordonne.

- Ah, moi je suis libre et par conséquent, je n’obéis qu’à des Maîtres qui savent respecter ma dignité.

- Défends-moi, à l’aide!

- Voyons, tu sais bien que tes guerriers doivent surveiller les prisonniers. Ils ne peuvent t’entendre d’ici. Par contre, je pourrai intervenir si tu décides d’ordonner de jeter tous les Ba-Na-Nutes dans le coffre avant l’aube.

Au même instant entra le chien féroce qui sauta aussitôt sur Yoma. Il lui arracha plusieurs touffes de poils sans toutefois le mordre mortellement. Boubou était en mesure de donner une sacrée leçon d’humilité à ce singe puisqu’il le traînait partout dans la hutte comme une poule déplumée. Yoma finit par rompre ses cris désespérés en implorant le missionnaire d’intervenir.

- D’accord, tu peux le lâcher à présent qu’il s’est laissé attendrir, dit Anakilimon à son complice.

- Oh! J’aurais aimé l’attendrir davantage comme une viande sauvage, mais je me suis retenu, lui dit le chien. - On ne sait jamais, peut-être que Yoma n’est pas encore assez attendri pour qu’il ordonne à ses guerriers de faire ce que le DESTIN a prévu pour les Ba-Na-Nutes?

- Je vais les faire jeter rapidement dans le coffre si tu me laisses la vie sauve, gémit le chef Yopis.

- Mais tu as la vie sauve, mon pauvre Yoma, lui répondit le missionnaire en l’aidant à se relever. Je ne suis pas intéressé à ton pouvoir, ni mandaté pour t’accorder le moindre droit sur tes prisonniers. Ils doivent tous être offerts à Nimala cette nuit.

- Je comprends tout à présent, lui répondit le chef en se frappant la poitrine. Tu es l’envoyé de Nimala et c’est lui qui veut que je lui sacrifie tous les Ba-Na-Nutes cette nuit?

- Oui, oui, c’est ça!

- Mais si tu me l’avais dit plus tôt, cela t’aurait évité de me faire perdre des poils pour que j’accepte de lui obéir. C’est évident que je ne veux pas déplaire à notre Nimala! Je ne sais pas pourquoi j’avais oublié cette étrange histoire que m’a racontée l’un des gardiens du coffre. C’est toi n’est-ce pas qui est sorti du coffre afin d’exécuter les ordres de Nimala?

- Oui, oui, c’est moi.

- Tu es donc un esprit comme Nimala?

- J’en ai bien l’impression. Puis, comme lui, je pourrais me fâcher et décider de te dévorer puisque je dois sûrement posséder les mêmes goûts que mon maître.

Yoma sortit en trombe de sa hutte pour ordonner sans attendre le sacrifice. Anakilimon rit un long moment avant d’aller rejoindre les Ba-Na-Nutes qu’on venait de rassembler autour du coffre mystérieux. Il va sans dire qu’ils se questionnaient au sujet de ce missionnaire qui se trouvait dans cette tribu ennemie sans qu’on cherche à s’en saisir. Était-il à leur service?

- Je ne suis pas Fontaimé Denlar Paichel, mais Anakilimon, le propriétaire de ce coffre, dit alors notre homme à l’oreille de Nelu.

- Le Maître Atlante?

Anakilimon demanda à Yoma et les siens de s’éloigner pour assister aux sacrifices. Ceux-ci s’exécutèrent dès que le chef recula craintivement pour ne pas déplaire à l’envoyé de Nimala. Alors, le missionnaire défit les liens aux prisonniers et leur dit en souriant :

- Les Yopis ne pourront entendre ce que je vais vous dire. Je suis Anakilimon et non votre missionnaire qui est toujours au sommet de la colline. J’ai emprunté son apparence physique pour vous convaincre d’aller vivre en Amérique.

- Ainsi, Paichel ignore que nous avons tous quitté notre village?, lui demanda un naturel.

- Oui, il doit ignorer que je suis son jumeau pour le moment. Êtes-vous disposés à partir vers cette jolie forêt verte où vous attendent vos frères qui traversèrent le miroir avant vous?

Nelu s’approcha le premier et sauta dans le coffre et tous les autres le suivirent sans hésiter. Les Yopis trouvaient leurs voisins forts courageux pour se sacrifier eux-mêmes à Nimala.

Au petit jour, Paichel descendit de son observatoire pour alors découvrir ce petit village abandonné par ses amis Ba-Na-Nutes. Il se mit à pleurer comme un jeune enfant en courant dans la forêt. Il se disait que le combat était déjà commencé et supposait même que les Ba-Na-Nutes voulurent surprendre les Yopis sur leur propre territoire. Il s’arrêta subitement lorsque Boubou vint à sa rencontre en gardant la tête basse.

- Qu’est-il arrivé? Où sont donc passés les Ba-Na-Nutes mon brave Boubou? - Il n’y a plus de Ba-Na-Nutes.

- Explique-toi voyons; ils sont morts?

- Nelu est parti cette nuit avec sa tribu pour se jeter dans le coffre. Ils l’ont fait sans se faire remarquer des Yopis.

- Un suicide collectif?

Le chien n’avait pas le droit de lui révéler l’existence de son jumeau et préféra donc lui mentir en racontant simplement avoir vu les Ba-Na-Nutes se jeter dans le coffre.

- Ils ne voulaient pas la guerre et encore moins fuir leurs voisins, gémit Paichel en retournant tristement au village fantôme.

- Ne crois pas que ta mission soit un échec puisque j’ai vu le coffre disparaître après le départ des Ba-Na-Nutes. Je suis convaincu qu’ils ne sont pas morts, mais simplement retournés en Amérique.

- Oui, une voix intérieure me dit que c’est exactement cela!, s’exclama le pauvre homme en souriant. Primus Tasal disait que nos amis hériteraient du coffre d’Anakilimon pour leur permettre d’évoluer rapidement. Je ne pensais pas qu’ils retourneraient si vite en Amérique, mais je me sens vraiment soulagé de les savoir loin des Yopis.

- Selon toi, ils vivent vraiment là-bas? Je veux dire dans une autre époque?

- Une époque ne se trouve pas quelque part, mon brave Boubou; elle se vit simplement dans un instant de l’histoire. La voix me dit que les Ba-Na-Nutes vont apparaître en Amérique pas moins de 400,000 ans avant l’homme des cavernes. C’était bien avant l’Atlantide.

- Mais alors, comment peuvent-ils détenir le coffre d’un Maître Atlante si c’était avant l’Atlantide?

- Voyons Boubou, tu oublies encore qu’il existe un couloir de l’Intemporel qui permet à certains Atlantes de voyager partout dans le temps comme moi. Primus Tasal s’en servit pour venir rencontrer le chef des Ba-Na-Nutes et même pour me visiter à l’époque de l’Homme de Neandertal. Donc, c’est tout à fait normal de voir des Atlantes exister avant l’Atlantide.

- C’est surtout amusant comme situation. Moi, par exemple, je pourrais rencontrer celle qui ne m’a pas encore mise au monde si je voyageais dans ce couloir Intemporel?

- Bien entendu voyons! C’est logique et tout à fait normal de vivre avant ses parents lorsqu’on emprunte ce couloir fantastique.

- Oh! Je pense que je préfère vivre dans une seule époque et attendre que les événements arrivent sans que je puisse les deviner à l’avance. À propos, j’ai découvert une étrange cruche à l’endroit où se trouvait le coffre. Je pense qu’elle se trouvait dans celui-ci.

- Ah! J’espère que tu n’as pas croqué dans celle-ci pour savoir si c’était un os?

- Non voyons, l’odeur qui s’en dégageait ne me plaisait pas du tout. J’ai enterré cette cruche près d’ici.

- J’aimerais bien la voir mon Boubou!

Le chien l’amena dans un coin de la forêt et déterrera rapidement la cruche étrange qui sentait drôlement bonne selon l’avis du missionnaire.

- Les goûts ne se discutent pas, lui répondit le chien en l’examinant humer le bouchon de cire.

- C’est du vin! Oui, il me semble particulièrement délicieux et surtout très vieux. Est-ce que je peux le goûter?

- Fais ce que tu veux puisque je n’aime pas le vin.

Fontaimé Denlar Paichel vida la cruche en peu de temps et se mit aussitôt à pleurer comme un ivrogne chagriné devant une bouteille vide. D’étranges souvenirs l’envahirent pendant que le chien l’examinait en se rappelant les prédictions d’Anakilimon. Paichel lui dit d’une voix émue :

- Ce vin me rappelle celui que je buvais sur ma planète. Je me sens comme cet étranger nostalgique lorsqu’il cherche à se rappeler la beauté de son pays natal.

- Ce vin provient sûrement de l’Atlantide, lui répondit le chien d’un air innocent.

Le missionnaire n’avait nul besoin de s’en faire convaincre, mais quelque chose le retenait encore en Australie. La bête le comprit intuitivement et lui dit sans détour :

- Il faut partir si tu veux encore goûter à ce vin qui te semble si bon! Je sais à quoi tu penses en ce moment, mais ce n’est pas une raison suffisante pour ne pas quitter cet endroit en te servant du radeau de Samia. Tu es mon ami et je vais toujours me rappeler de toi.

- Tu devrais m’accompagner là-bas.

- Non, mon territoire de chasse est cette forêt qui nous entoure. Il ne faut pas insister davantage puisque d’autres missions t’attendent ailleurs. Je vais t’aider à te faire des provisions et même pousser ton radeau loin des côtes pour être certain que les vagues t’emportent vers ta destination.

Paichel comprit que Boubou parlait sous l’inspiration des Maîtres de l’invisible. Il réalisa que ceux-ci tenaient à l’envoyer en Atlantide pour y accomplir une mission. Comme d’habitude, il ignorait laquelle, mais son coeur lui disait de faire ce que lui demandait son compagnon. Un matin, il s’éloigna des côtes de l’Australie et le chien poussa un moment l’embarcation jusqu’au moment où une grosse vague entraîna celle-ci dans un courant. Alors le chien nagea de reculons en jappant à son compagnon attristé : “ Ne bois pas trop de ce vin si tu ne veux pas mourir de nostalgie.”

Après le départ du missionnaire, le chien retourna auprès d’Anakilimon afin de lui confirmer sa prédiction. Le faux Paichel lui sourit en soupirant de soulagement.

- Bon, l’important était qu’il ne sache pas que j’avais emprunté son apparence pour accomplir d’autres missions pour les Maîtres de l’invisible. À présent, il va falloir s’occuper des Yopis qui regrettent déjà le sacrifice collectif de leurs voisins.

- Tu crois que les Ba-Na-Nutes sont heureux dans leur nouveau monde?

- Bien sûr que oui! Ils évoluent progressivement dans une vaste forêt que les hommes du futur désigneront par le Groenland. À l’époque de nos amis, le climat y est encore tempéré et le sol est vraiment riche en toutes sortes de plantes, de racines médicinales et d’arbres fruitiers. C’est le pays des pommes sauvages et du cristal. Les Atlantes ont découvert le gisement le plus pur de la planète, non pas au Groenland, mais plus bas sur les côtes du Labrador. À l’époque, on lui donna simplement le nom de Terre verte pour ne pas la confondre avec la Forêt verte qui occupait une grande partie du Groenland. Ces deux endroits de la planète furent longtemps indispensables pour les Atlantes. Tu comprends, la science de notre peuple est grandement axée sur la cristallisation des vibrations en couleurs. Je vais t’en expliquer brièvement les principes puisque tes oreilles se sont dressées d’étonnement lorsque j’ai prononcé le mot “ cristallisation ”. Tu vois, tu n’as qu’à t’imaginer que tout ce qui existe dans le monde et l’univers est un son qui vibre.

- Moi je vibre aussi?

- Bien sûr que oui! Et tu développes une énergie invisible que nous appelons simplement l’aura. Celle-ci possède différentes couleurs qui vibrent sous l’effet de la lumière. Lorsque tu jappes, par exemple, tu peux l’entendre à cause qu’il est amplifié par l’air. Mais pour entendre les sons de l’aura, il faut l’amplifier avec le cristal. Tu vois, cette pierre est comme l’eau pure qui capte les rayons du soleil. Est-ce que tu regardes parfois ce qui arrive à la surface de l’eau lorsque le soleil est très fort?

- Oui, on dirait qu’il y a des petites écailles lumineuses sur les vagues.

- Bon, est-ce que tu remarques également l’effet du soleil lorsqu’il brille à travers une pluie fine? On appelle cela un arc-en-ciel. C’est très beau et c’est plein de couleurs. Le cristal produit le même effet en captant les teintes de l’aura. Il les amplifie et on peut alors entendre leurs sons. Les Atlantes sont passé maîtres dans l’art de jouer avec ces sons colorés.

- Ils peuvent entendre un arbre et même un nuage?

- Oui, absolument tout ce qui existe autour de nous et au-dessus de nous.

- Même les étoiles?

- Oh!,oui. Même les étoiles, mon brave Boubou.

- S’ils peuvent les entendre, ils sont également capables de leur parler?

- Oui, ils créent simplement des couleurs qui vibrent selon un langage spécifique.

- On dirait bien que tu cherches à me dire qu’il existe une langue de couleurs?

- Mais pourquoi pas, mon Boubou? C’est également une énergie qui peut modifier le poids des objets qui sont lourds à cause de leur aura. Par exemple, si tu veux faire déplacer une grosse pierre avec le son de ta voix, il suffit simplement de connaître le langage des pierres. Certains Atlantes connaissent cette langue et s’en servent pour bâtir des grosses huttes sans devoir toucher aux pierres.

- Les pierres bougent toutes seules?

- Oui, elles deviennent si légères que le simple son peut les soulever comme des petites feuilles obéissant au vent. Tu sais, lorsque tu parles, tu souffles avec ta bouche les sons à l’extérieur. C’est exactement la même chose qui se produit lorsqu’un souffleur dirige les pierres avec le vent de sa bouche.

- Il parle aux pierres et les dirige en faisant sortir un vent de sa bouche?

- Disons que c’est plutôt un son qu’il mêle à son souffle. Mais c’est tout un art que de faire bouger des pierres par le son de sa bouche. Normalement, les Atlantes utilisent des petits cristaux qui vibrent en captant l’aura de la pierre qu’ils veulent soulever. C’est plus simple et même les enfants peuvent s’en servir pour connaître l’humeur de leurs parents!

Anakilimon se mit à rire de bon coeur sans que le chien puisse en deviner la raison.

- Mais si voyons, lorsqu’on peut capter l’aura des choses, c’est prétendre également qu’il devient facile de connaître l’aura des parents. S’ils sont fâchés, leurs enfants le savent avant même qu’ils ouvrent la bouche pour les gronder. Mais d’autre part, les parents peuvent deviner les peines, les inquiétudes et surtout les mensonges de leurs enfants.

- Ils se servent d’un cristal?

- Non, les Atlantes sont naturellement des êtres si sensibles et émotifs qu’ils devinent plus de choses par intuition qu’avec un cristal.

- Les Ba-Na-Nutes vont apprendre toutes les connaissances des Atlantes, alors?

- On dirait que tu changes volontiers la conversation. As-tu quelque chose à te reprocher mon cher Boubou?

- Aussi bien te le dire puisque tu finiras par le deviner. J’ai menti à Paichel et cela me chagrine beaucoup.

- Hum! C’est au sujet du coffre qui n’est pas entre les mains des Ba-Na-Nutes, mais encore au village des Yopis? C’est ça?

- Oui, je lui ai dit qu’il disparut après leur départ et Paichel en conclut que sa mission était accomplie. Tu vois, je ne sais vraiment pas si ce missionnaire aurait accepté de quitter l’Australie avant que le coffre soit entre les mains des Ba-Na-Nutes. Il croyait fermement que c’était cela sa mission.

Anakilimon lui caressa affectueusement la tête en disant :

- Je crois comprendre ton inquiétude puisque Primus Tasal disait que les Ba-Na-Nutes devaient hériter de ce coffre pour évoluer. Tu en conclus donc que Paichel avait comme mission de s’assurer que s’accomplisse le désir de Primus? Mais tu oublies que ce coffre m’appartient et que la véritable mission de Paichel se trouvait en Atlantide et non ici. S’il s’est retrouvé en Australie, c’est uniquement pour me permettre d’emprunter son apparence physique. Le miroir qui se trouve dans le coffre est trop précieux pour que je le laisse entre les mains des Ba-Na-Nutes, des Yopis et même des Atlantes. Je sais parfaitement que les scientifiques qui vivent en Atlantide ne sont pas tous des sages comme ceux qui se trouvent en Amérique. Paichel aura l’occasion de le constater lorsqu’il arrivera là-bas. En ce qui me concerne, ma mission est de veiller sur ce miroir de vérité à travers les siècles et à seconder Paichel sur Terre. S’il le faut, les Maîtres de l’invisible enverront d’autres missionnaires qui prendront tous la même apparence que lui afin d’éveiller les coeurs fautifs.

- Les coeurs fautifs?

- Écoute Boubou, je vais te dire quelque chose de très important puisqu’elle concerne des milliers d’hommes et de femmes qui vivent un peu partout dans l’histoire de l’humanité. Lorsque la planète Arkara disparut de la constellation d’Orion, des milliers d’âmes arkariennes se retrouvèrent sur Terre pour y apprendre à reconnaître la valeur d’un monde sans guerre, sans maladie, sans frontière, sans injustice, sans riches et sans pauvres. Ces âmes venaient d’un monde lumineux et d’Amour, mais leur inconscience les empêchait de le réaliser. Cette planète existe dans une autre dimension et toutes ces âmes y retourneront lorsqu’elles se rappelleront d’y avoir vécu autrefois. Donc, il faut les éveiller dans leur coeur pour qu’elles recherchent justement ce Coeur fantastique qui gouverne Arkara.

- C’est un coeur qui gouverne cette planète? Il doit être énorme?

- Il est non seulement énorme, mais lumineux. Son rayonnement est tellement beau et pacifique que tout devient merveilleux sans qu’on puisse l’expliquer en mots et en raisonnements comme sur Terre. C’est normal qu’il en soit ainsi puisque cette planète est celle du Coeur heureux. Voilà pourquoi ce sont les coeurs que les Maîtres de l’invisibles veulent éveiller et non la raison. Les anciens fautifs pensent avec le coeur et cela leur fait mal de voir les Terriens réfléchir sans d’abord consulter leur coeur. Celui-ci est la maison intérieure des émotions comme: la sensibilité, la générosité, la joie, le naturel, l’émerveillement et les sens. Ce n’est pas le coeur qui méprise, qui juge et qui soumet son prochain à ses caprices, mais la raison. C’est elle qui est égoïste, orgueilleuse et qui se vante de ses connaissances. Le coeur connaît par intuition et la raison ne se fie qu’à son entendement. Le coeur dit à la raison ce qui devrait être juste en toute chose, mais cette conscience naturelle dérange énormément la raison puisque celle-ci est le pouvoir.

Le chien lui répondit sans hésiter :

- Les Yopis se disent les maîtres parce qu’ils faisaient peur aux Ba-Na-Nutes. Est-ce cela agir sans réfléchir avec le coeur?

- Oui, c’est impossible d’avoir ce désir de POUVOIR lorsqu’on pense avec le coeur. On s’en tient loin comme d’une maladie qui empoisonne les êtres.

- Donc, les Yopis sont malades?

- Sûrement très malades, mon brave Boubou. Il va donc falloir les soigner sans toutefois leur imposer le moindre remède. Si tu donnes à des mauvais maîtres une drogue qui les guérira de la maladie du pouvoir, crois-tu qu’ils la consommeront docilement? Non, ils vont la faire disparaître et s’assurer ensuite que personne ne réinvente le remède contre le pouvoir. Par contre, s’ils ignorent comment se débarrasser du pouvoir qui les rend malades, ils en souffriront sans trouver de bons guérisseurs.

- Quel est ce remède?

- Mais c’est le coeur voyons! Il est non seulement cette conscience qui vous inspire ce désir d’être au service de son prochain, mais comprend pourquoi les maîtres recherchent le pouvoir et comment ceux-ci se détruisent à petit feu.

- Ainsi, tu ne diras pas aux Yopis qu’ils doivent penser avec le coeur?

- Pour les guérir, Boubou, il faudra d’abord qu’ils réalisent qu’ils ont une conscience. Ce n’est pas encore le cas puisque le miroir de vérité ferait voir leur âme humaine. Les Yopis sont comme des pierres brutes qui ne sont pas encore façonnées par le coeur. Donc, selon toi, dois-je leur demander de penser avec un outil dont ils ignorent l’utilité?

- Mais quand pense-t-on avec le coeur?

- Écoute, pourquoi as-tu défendu les Ba-Na-Nutes selon toi?

- Mais je voulais les protéger contre ceux qui cherchaient des victimes pour Nimala. Ils n’avaient pas le droit de tuer Samia et encore moins de jeter des frères dans le coffre.

- C’est que tu as pensé simplement avec le coeur, mon Boubou. Tu as vu une situation vraiment bête et injuste. Cela t’a touché le coeur, voila tout!

- Je pourrais vivre sur ta planète Arkara, selon toi?

- Oh! Sûrement.

Anakilimon et Boubou retournèrent au village des Yopis pour sceller le coffre devant leur regard étonné. Yoma s’approcha aussitôt pour critiquer ce geste.

- Nimala aura faim et personne ne pourra le nourrir par ta faute. Comment peux-tu prétendre le servir si tu le laisses mourir de faim?

- Nimala est mort et c’est pour cela que je viens sceller l’entrée de sa hutte dorée.

- Il est mort d’avoir trop mangé, n’est-ce pas?

- Oui, c’est exactement cela. Les Ba-Na-Nutes savaient qu’ils vous libéreraient du monstre en l’obligeant à se nourrir de centaines de victimes en même temps. À présent, vous ne serez plus obligé de sacrifier quelqu’un pour plaire à cette image qui voulait vous dévorer.

- Les Ba-Na-Nutes sont tous morts pour nous, gémit un guerrier en jetant sa lance près de Yoma.

Les Yopis venaient de prendre conscience de l’inutilité de ces ridicules sacrifices à Nimala et surtout de leur bêtise. En effet, ils croyaient fermement que les Ba-Na-Nutes venaient de leur prouver qu’ils les aimaient malgré tout. Cela fut suffisant pour les attendrir. Il ne fallait surtout pas leur demander de penser avec le coeur avant qu’ils en expérimentent graduellement les effets et ensuite, les transformations qu’il produit dans l’être. Ce jour-là, les Yopis ne purent s’expliquer cet étrange sentiment qui vous saisis lorsqu’on se sent aimer de quelqu’un. On veut lui plaire et pourquoi pas, se montrer d’agréable compagnie. Ainsi, les bêtes voulaient se faire belles en souvenir de ceux qui les avaient tant aimés. C’était un premier pas intéressant, mais Anakilimon savait fort bien qu’un souvenir s’effrite avec le temps.

Depuis la fin des sacrifices, les Yopis contestaient évidemment l’autorité de Yoma. Ils le trouvaient stupide et incapable de gouverner une tribu. Il en fut toujours ainsi, mais puisque personne n’osait le contredire sous peine de se retrouver dans le coffre, le dictateur pouvait faire la loi. À présent que cette crainte n’existait plus, tous les prétendants au pouvoir cherchaient à se faire une popularité aux dépens du chef Yopis. Anakilimon n’était pas convaincu qu’il suffisait de détrôner un mauvais maître pour obtenir ses droits et un peu plus de justice. En effet, tous ceux qui critiquaient Yoma ne voulaient que s’emparer de sa place pour devenir de nouveaux dictateurs. Le chef était inquiet et supplia le missionnaire d’intervenir en sa faveur.

- Je reconnais avoir abusé de mon pouvoir, mais tu as vu tous ces jeunes guerriers qui bavent de jalousie? Je connais bien cette race de beaux parleurs qui attendent ma perte pour me remplacer.

- Disons qu’ils sont à ton image et donc qu’il est un peu normal qu’ils veulent t’imiter. Si tu avais été sage, juste et bon envers les tiens, personne ne voudrait te remplacer de peur de se faire accuser ensuite de ne pas être aussi bon que toi. On te pleurerait après ta mort et chacun parlerait de toi avec respect. Crois-tu que ces jeunes prétendants ignorent le secret de ta réussite? N’est-ce pas toi qui as donné l’exemple? Pourquoi voudrais-tu que j’empêche ces jeunes de faire simplement ce que tu as toujours fait? Que veux-tu au juste?

- J’ai peur qu’ils me tuent puisque jamais je ne leur céderai mon pouvoir.

- Alors, si je comprends bien, tu n’as vraiment pas l’intention de changer ta manière de gouverner ta tribu?

- Mais que veux-tu dire au juste?

- Mais simplement que les Yopis veulent du changement et surtout plus de justice et d’équité. Si c’est cela que tu es disposé à proposer comme nouvelles mesures, je vais te seconder.

- Sinon!

- Toi ou un autre au pouvoir n’y changera pas grand chose.

- Je vais y réfléchir.

- Ah bon! Tu dois réfléchir si tu veux la justice? Non, lorsqu’on se demande si on doit être juste ou injuste, c’est qu’on est injuste de nature.

- Si tu n’es pas de mon côté, je devrai te considérer comme mon ennemi.

Anakilimon sortit de la hutte en demeurant indifférent aux menaces du dictateur. Il fallait s’attendre à voir Yoma lui souhaiter mille et une malédictions, mais pas au point d’attenter à sa vie. Son règne était déjà trop fragile pour qu’il ordonne la moindre sanction contre l’ami des Ba-Na-Nutes et de son peuple. Boubou vint trouver Anakilimon pour lui dire qu’un certain Kanapyra désirait le rencontrer dans l’ancien village des Ba-Na-Nutes. Le missionnaire surprit son compagnon en courant comme une gazelle à travers la forêt. On aurait dit qu’il avait hâte de rencontrer ce personnage et pour cause d’ailleurs : Kanapyra était l’ancien frère jumeau d’Anakilimon.

Pendant que notre homme court dans les bois, nous avons le temps de raconter brièvement la vie de ces jumeaux. Autrefois, lorsque la planète Arkara existait encore, Anakilimon et Kanapyra portaient simplement les noms de Anak et Kana. Ils grandirent en taille et en sagesse pour ensuite devenir deux puissants Maîtres Atlantes. Lorsque leur planète disparut, ils se retrouvèrent tous les deux en Atlantide afin de poursuivre leurs missions. Anak ou encore, Anakilimon passa la majeure partie de sa vie dans une grotte afin d’y mettre au point le fameux miroir de vérité. Il fabriqua ensuite un coffre immense pour le transporter. Mais Kana, soit Kanapyra, voyageait partout à travers le monde pour tenter de retrouver tous les fautifs du coeur qu’il souhaitait éveiller au souvenir de leur ancienne planète. Anakilimon mourut un jour comme tout le monde, mais pas son jumeau qui se maintenait en vie, grâce à un feu intérieur mystérieux dont l’origine demeure inconnue. Quoi qu’il en soit, ce missionnaire vivait sur terre depuis des milliers d’années et semait partout des graines éveilleuses dans les coeurs endormis des anciens Arkariens. On se souvient que c’est l’esprit ou le fantôme d’Anakilimon qui emprunta l’apparence de Fontaimé Denlar Paichel. Donc, lorsqu’il arriva finalement au village des Ba-Na-Nutes, son frère lui dit en riant :

- Pas vrai! On dirait que la Nature ne t’a pas favorisé en cheveux, mon cher frère!

- Oh! Je suis tellement heureux de te revoir que je n’envie pas du tout ta longue barbe et chevelure blanche. Comment vas-tu, Kana?

- Mais comme un vieil homme en parfaite sérénité!

- Tel que je te connais, mon cher frère, tu n’es pas venu ici sans bonnes raisons?

- Bien, la première c’est pour te féliciter d’avoir accepté de seconder Paichel sur Terre.

- Et la deuxième?

- Hé bien, je suis venu te prévenir que les Maîtres de l’invisible vont te former progressivement à la personnalité de Paichel en te faisant oublier une grande partie de ta vie passée. Donc, ne sois pas surpris si tu as cette impression de perdre la mémoire.

- Juste ça? Bon, et ensuite?

L’humour d’Anakilimon le fit sourire. Kanapyra ajouta :

- Je vais profiter de mon voyage en Australie pour l’explorer à mon goût. Il se peut fort bien que j’y retrouve des fautifs arkariens qui souhaiteraient se rappeler leur ancienne planète.

- Tu sais Kana, je trouve quelque peu étrange de devoir oublier une partie de ma vie, alors que tu vas parcourir ce vaste territoire dans le but d’éveiller la mémoire de ceux qui ne se souviennent plus de leur ancien monde.

- Oui, c’est quelque peu paradoxal, mais le but n’est pas le même, mon frère. Dans ton cas, c’est pour éviter que l’ancien Maître Atlante se fasse deviner à travers la personnalité de Paichel. Les Grands-Maîtres désirent te faire passer pour lui au cours de tes missions sur Terre. Un jour, ce missionnaire devra retourner sur Arkara afin d’y réaliser un musée qui démontrera jusqu’à quel point on peut pousser la bêtise humaine. Son expérience terrestre l’aidera grandement à seconder le plus noble des Maîtres arkariens lorsqu’il viendra s’offrir à l’Humanité. Après le départ de Paichel, il faudra bien poursuivre ses missions et c’est toi qui les accompliras en son nom. Si tu conserves le moindre souvenir de ton nom véritable, il te sera plus difficile d’agir et de réfléchir comme Paichel.

- Oh!, je suis donc disposé à M’OUBLIER puisque si j’ai accepté de revenir sur terre après ma mort, c’est justement pour vivre comme Paichel, l’enfant chéri des Maîtres de l’invisible.

- Comme tu t’en doutes déjà mon cher frère, c’est inutile de préciser que cet oubli ne saurait être parfait! Le vrai Paichel se souvient de plusieurs choses comme Arkarien, sans pour autant qu’il perde de vue sa mission sur Terre. Parfois, il se rappelle parfaitement avoir été Mercéür et à d’autres moments, il n’est plus sûr de rien. Les Maîtres font surgir en lui des souvenirs lorsqu’ils le jugent à propos. Il se peut fort bien qu’il en soit de même pour toi.

- Je devrais donc écrire ma vie passée avant de plonger dans cette amnésie volontaire.

- Hé! Bien! C’est une charmante initiative, mais je pense que Paichel ne sait ni lire, ni écrire.

- Pas vrai! Et moi qui aimais tant écrire pendant des jours et des nuits dans ma grotte!

Anakilimon riait comme un jeune enfant en tentant de deviner les mots qu’écrivait son frère sur le sol.

- Oh! Je pense que c’est le mot cul..

- Voyons, c’est culte, lui répondit Kanapyra en riant avec lui.

- Admets au moins que je peux encore lire la moitié des mots?

- Sois patient et bientôt tu prendras les lettres et les mots pour des abstractions. Si tu veux vivre dans la peau de ton personnage, les Maîtres de l’invisible t’y aideront en te faisant oublier ce qui ne sera pas utile pour tes futures missions.

Kanapyra baissa les yeux en ajoutant :

- Malheureusement, j’ai appris que les scientifiques de Mu sont parvenus à créer un couloir en forme de spirale, grâce à un puissant rayon qui permettra à certains d’entre eux de voyager dans le temps. Il faudra donc s’assurer de le faire surveiller jusqu’à la fin des temps, mon pauvre ami. Paichel aura l’occasion de comprendre en temps voulu comment certains scientifiques se sont retrouvés par hasard au moyen âge et surtout dans la peau de rats. Je profiterai de son sommeil pour lui faire voir ce triste événement de la fin de l’Atlantide. Il la quittera bien avant ce séisme sauf qu’il saura pourquoi ses amis des souterrains décidèrent de quitter le moyen âge.

- Tu sais Kana, j’ai tenté de convaincre les scientifiques d’abandonner leurs projets lorsque j’étais Superviseur de Mu. Les dévots d’Alba furent trop influents pour que je puisse freiner cette folie de créer un rayon vraiment trop puissant pour ne pas mettre la sécurité des Atlantes et du continent.

Anakilimon se mit à sangloter sur l’épaule de son frère qui comprenait le sentiment d’impuissance de celui qui préféra finir ses jours comme ermite lorsqu’il apprit que des scientifiques de Mu s’étaient grandement éloignés des nobles objectifs des Atlantes. En effet, Anakilimon tenta d’interdire la mise au point d’un puissant laser à particules élémentaires qui pouvait transformer la matière en énergie et vice versa. Par conséquent, il devenait possible de saboter des milliards d’années d’évolution de la matière en délaçant les atomes à volonté. Jamais les Arkariens n’auraient osé inventer un tel instrument, même au nom de la guérison. Ce laser pouvait refaire les tissus, la peau, le système nerveux et autres, mais son utilisation à mauvaise dose créa bon nombre de maladies jusqu’alors inconnues sur Terre. De plus, il suffisait de manipuler cet instrument pour en faire un puissant rayon mortel qui désintégrait tout sur son passage.

Kanapyra fit comprendre à son frère qu’il ne pouvait être tenu responsable pour la perte de sagesse des scientifiques de Mu. Il lui dit ainsi :

- La sagesse est comme une bonne récolte qu’il faut tenter de renouveler au fil des ans. Le sol est riche mais ingrat. Il saura produire si l’on ne perd pas l’art de cultiver. Dans le cas des scientifiques de Mu, ils ont oublié la sagesse des anciens qui savait entretenir le champ du coeur. Ils s’éloignèrent finalement de leur nature arkarienne.

- Leur plus grande illusion fut de s’imaginer que ce laser demeurait strictement réservé à des usages médicaux et curatifs, lui répondit Anakilimon. Mais voilà, d’autres savants virent d’intéressantes possibilités pour ce rayon que certains Atlantes n’hésitaient pas à appeler : rayon de la mort.

Kanapyra opina tristement de la tête avant de dire :

- Je sais que les Atlantes n’étaient pas tous sages, mon cher frère. J’espère simplement que les Terriens apprendront à se méfier davantage de leurs ambitions scientifiques. Tout commence petit et semble même répondre à des besoins précis. Mais bientôt, d’autres inventions vont les remplacer et forcer la roue scientifique à s’accélérer. Finalement, plus personne n’ose se placer devant elle pour l’empêcher de passer. On ne peut moraliser ce qui est déjà acquis dans les moeurs. Donc, il ne faudra pas s’étonner si je dis que la morale sociale suit la mode et non les principes. Un jour, les scientifiques parleront de manipulations génétiques et toutes les religions s’en offusqueront avant de leur interdire de telles pratiques. Pourtant, elles seront courantes lorsque les sociétés devront fonctionner sur d’autres valeurs morales.

- Oui, je sais que cela se produira lorsque la valeur humaine ne sera plus incluse dans la morale sociale.

Anakilimon et Kanapyra discutèrent ensuite des Yopis qui, selon le missionnaire, étaient encore loin de comprendre le sens du mot “HUMANISATION”

- Tes amis comprennent cependant la nécessité de valoriser les Ba-Na-Nutes aux dépens de leur chef, dit Kanapyra en souriant. C’est un excellent début et même une prise de conscience. Ils réalisent surtout que leurs voisins ne sont plus là pour subir la tyrannie de Yoma. À moins d’aimer prendre leur place, les Yopis devront veiller à se trouver un chef qui soit digne de confiance.

- J’ai bien peur que ce chef n’est pas encore né, mon frère. Je n’ai vu aucun prétendant au pouvoir qui ait vraiment plus évolué que Yoma.

- Dans ce cas, il va falloir que les Yopis définissent eux-mêmes les règles auxquelles devra se conformer leur nouveau chef. S’il le faut, qu’ils s’abstiennent de confier la tribu à un seul prétendant au pouvoir. Cela va créer de la division au sein du groupe, mais aucun des chefs ne pourra se passer de l’avis des autres lorsqu’il faudra prendre une décision importante.

- J’aimerais bien te présenter les Yopis et surtout leur chef. Peut-être sauras-tu le convaincre de se désister de ses fonctions avant que les choses tournent mal pour lui. Cet entêté s’imagine qu’il pourra indéfiniment imposer son autorité à une tribu qui ne craint plus ses menaces.

Anakilimon et son frère arrivèrent bientôt au village voisin pour y assister à un étrange rituel auquel Yoma et les autres prétendants au pouvoir devaient faire la preuve de leur sincérité. Le missionnaire éprouva une sorte de révolte intérieure lorsqu’il vit les os et le crâne de Samia entre les mains des Yopis. Ceux-ci n’avaient vraiment pas l’intention de profaner le squelette du pacifique élève d’Anakilimon, mais simplement s’en servir pour exiger que chacun touche tous les os en promettant d’être aussi pacifique que Samia. Tous durent les toucher et ensuite, vint le moment de sincérité lorsqu’un membre de la tribu présenta le crâne à Yoma.

- Il est rempli d’eau fraîche, lui dit celui-ci en le fixant dans les yeux. Si tu n’es pas sincère, ne boit pas de cette eau qui s’est mêlée à la tête du gentil pacifique que tu as fait tuer pour lui ravir son coffre. Mais si tu veux demeurer notre chef, il faudra devenir aussi doux que Samia. Il va t’habiter lorsque tu auras bu l’eau de son crâne.

- Pourquoi pas!, lui répondit Yoma en saisissant le crâne et surtout, sans avoir l’intention de tenir sa promesse.

Dès qu’il trempa ses lèvres dans l’eau, celle-ci se changea en sang. Le chef laissa tomber le crâne avant de reculer craintivement. Les autres prétendants en firent autant puisqu’ils n’étaient pas plus sincères que Yoma. Kanapyra fit un large sourire à son frère en disant joyeusement :

- Les Maîtres de l’invisible viennent de convaincre Yoma et les autres dictateurs de ne plus insister pour diriger la destinée de cette tribu.

- J’avoue que cela m’a déplu de voir ces hommes-singes se promener avec les os de mon élève, lui répondit Anakilimon en souriant à son tour. Je réalise que leur intention était bonne et qu’elle servit une sacrée bonne leçon à tous ces prétentieux qui s’imaginent vraiment qu’il s’agit du sang de celui qu’ils ont dévoré autrefois.

- Oui, j’ai bien peur que tu devras abandonner l’idée d’enterrer ton élève en Atlantide comme tu te proposais de le faire, n’est-ce pas?

- Tu lis dans mes pensées, mon frère!

- Je le faisais sur Arkara et tu en faisais autant, n’est-ce pas?

- Je ne m’en souviens pas; c’est sans doute que je commence à perdre la mémoire, lui répondit-il en riant de bon coeur.

- Écoute, les Yopis ne laisseront personne leur ravir les os et le crâne de celui qu’ils croient en mesure de pacifier leurs futurs chefs. Il va sans dire que celui qui acceptera dorénavant de boire dans ce crâne aura la ferme intention de se laisser imbiber par l’esprit du gentil pacifique.

- C’est de la superstition, oui c’est mon avis.

- C’est également le mien, si tu veux mon avis! Pourtant, c’est suffisant pour inciter les Yopis à rechercher la pacification. Ils vont croire que l’eau se changera en sang si on ment en faisant une promesse. Puis, à quoi bon enterrer ton élève à présent que cette tribu est disposée à s’en occuper?

- Oh! Mon pauvre Samia ne demanderait pas mieux que l’on prenne soin de lui comme il le fit pour mon coffre. Ces Yopis vont préserver ses os et son crâne comme un trésor inestimable. J’espère simplement qu’ils ne se disputeront pas un jour pour savoir qui veillera sur le squelette.

Kanapyra jugea inutile d’aller parler aux Yopis puisqu’ils venaient de convaincre Yoma de quitter le village avec ses lécheurs favoris. Tant qu’aux autres prétendants au pouvoir, ils refusèrent de boire dans le crâne en prétextant qu’ils ne voulaient plus devenir le nouveau chef. Lorsque le frère d’Anakilimon vit Yoma s’éloigner du village en pleurant de désespoir, il dit à son frère :

- Bon, je sens que quelque chose vient de transpercer ce coeur orgueilleux. C’est une toute petite lueur d’espoir qui vaut tout de même la peine que je m’en occupe. Avec un peu de chance, je pourrai aider Yoma à finir ses jours dans la paix du coeur. Donc, nous allons faire un bon bout de chemin ensemble à travers l’Australie.

- Où comptes-tu aller avec Yoma?

- Oh!, jusqu’au bout de sa route, mon cher frère. Il va mourir dans mes bras et je veillerai à enterrer soigneusement sa dépouille.

- C’est très noble de ta part, tu sais!

- Non, c’est simplement le coeur qui veut qu’on aime secourir le malheureux.

Les deux frères se serrèrent dans leurs bras avant de se quitter. Anakilimon entra au village pour voir les Yopis reconstituer le squelette de Samia. Notre missionnaire vit alors derrière une hutte, les grandes oreilles de Boubou. Celui-ci s’était caché pour assister discrètement à cette reconstitution. Le missionnaire comprit rapidement les craintes de ce chien lorsqu’un Yopis demanda à un enfant de retrouver dans le bois les deux os qui manquaient au squelette. En effet, un fémur et un tibia demeuraient introuvables. Notre homme retourna dans l’ancien village des Ba-Na-Nutes pour y voir Boubou ronfler hypocritement devant une hutte.

- Dis-moi mon ami ce que tu faisais au village des Yopis? C’est inutile de faire semblant de dormir.

- Oh!, j’ai honte de ma conduite, gémit le chien en se redressant craintivement sur ses pattes. Tu sais, ils ne retrouveront jamais ces os puisque je les ai dévorés.

- Disons que c’est exactement à quoi j’ai songé lorsque je t’ai vu épier les Yopis. Je sais qu’un chien aime bien les os, mais je trouve malheureux qu’il ne sache pas respecter ceux des humains.

- Les hommes qui mangent les animaux respectent-ils leurs os?

- Tu as raison et je suis disposé à te pardonner ta gourmandise.

- De toute manière, lui dit le chien, je n’aurais jamais osé me nourrir des os de Samia si je t’avais connu à cette époque. Ce n’est pas d’avoir mangé deux de ses os qui me rendait honteux, mais bien d’apprendre qu’ils étaient ceux d’un pacifique voyageur qui était ton ami.

Anakilimon ne tenait pas à discuter davantage de cet incident déplorable. Il demanda à Boubou de l’aider à faire disparaître le coffre avant que les Yopis songent à s’en servir pour conserver le squelette de Samia.

- Tu comprends, lui dit-il fermement, je veux éviter d’autres querelles dans cette tribu au sujet de mon coffre qui n’appartiendra jamais à un groupe d’individus, mais uniquement aux gens de bonne volonté. Il faudra donc le cacher soigneusement en attendant que je lui trouve des héritiers qui seront dignes de confiance.

- Je serai l’un des rares chiens de cette planète à savoir où il se trouve?

- De ton vivant, tu seras le seul habitant australien à le savoir.

- À part toi, évidemment!

- Écoute, je sais que les Maîtres de l’invisible vont m’envoyer en mission dès que ce coffre sera en sécurité. Les Yopis vont évoluer lentement et selon leur nature. Ce n’est pas à moi de leur dicter comment ils devront poursuivre leur chemin vers le bonheur et encore moins m’ingérer dans leurs moeurs. Ils savent ce qui en coûte d’obéir à un mauvais maître comme Yoma. Cette leçon leur servira dans le futur.

- Tu vas donc nous quitter comme Paichel?

- Oui, nous allons emporter le coffre très loin d’ici et ensuite je vais me servir du miroir de vérité pour quitter l’Australie. Je devrais normalement me retrouver en Amérique, mais je vois mentalement une date qui m’étonne beaucoup. C’est en Amérique, mais en l’an 2200 après Jésus-Christ.

- Qui est Jésus-Christ?

- Il est certainement l’être le plus pacifique de toute l’histoire de l’Humanité.

- Il vivait en Amérique?

- Non, je voudrais simplement t’informer que je vais arriver en Amérique bien après la civilisation des Ba-Na-Nutes.

- Ainsi, tu ne les rencontreras pas en arrivant là-bas?

- Oh! Sûrement pas en l’an 2200, mon brave Boubou!

Anakilimon voulut se retirer de la vie des Yopis sans leur dire qu’il ne reviendrait plus dans leur village après l’avoir quitté en emportant son gros coffre sur roues. Ceux-ci admirent qu’il soit sage d’aller l’enterrer quelque part, mais crurent tout de même que le missionnaire leur faisait un simple baiser d’amitié et non d’adieu lorsqu’il embrassa le front de tous les Yopis avant son départ. Boubou se laissa joyeusement atteler au coffre pour suivre docilement son ami à l’intérieur du vaste continent australien.

Une fois parvenu à une jolie montagne rougeâtre qui faisait d’ailleurs penser aux pierres d’oricalque de l’Atlantide, le missionnaire décida d’y faire le tour afin de trouver un endroit où le soleil éclairera à chaque solstice du printemps, la paroi devant laquelle le coffre sera enfoui. Ainsi, l’héritier du trésor d’Anakilimon saura un jour le retrouver en se fiant à cet indice. Le chien aida son compagnon à creuser un trou assez profond et ensuite, le gros coffre y fut déposé sans qu’il soit nécessaire de le descendre avec des câbles. Anakilimon se servit d’un simple son pour le faire mouvoir sans difficulté. Puis, le missionnaire fit ses adieux à son brave compagnon qui lui dit sans détour:

- Pourquoi dois-je encore obéir à cette voix qui me dit de ne pas chercher à te retenir? J’ai laissé partir Paichel sans pleurer et c’est toi à présent qui part en me laissant seul de nouveau. Est-ce cela le rôle de celui qui accompagne des missionnaires?

- Mon brave Boubou, tu es vraiment ému en ce moment et comme toi, j’éprouve cette douleur de la séparation. J’aimerais t’amener avec moi, mais qui protégera le coffre en le recouvrant de terre après mon départ?

- Tu as raison, je vais l’enterrer après ton départ et ensuite, je vais agir comme un chien fidèle envers son ami bien aimé.

- Que veux-tu dire au juste?

- Je vais surveiller ton coffre sans trop m’en éloigner.

Comme le chien ne tenait pas à discuter de son avenir, il demanda simplement une phrase qu’il pourra se répéter en mémoire d’Anakilimon. Alors le missionnaire lui dit en descendant dans le trou où le couvercle du coffre venait de s’ouvrir de lui-même :

- Oui, je vais te répéter ce que je disais à Samia lorsqu’il était enfant :

Souviens-toi qu’il n’y a:
Qu’un Créateur
Qu’un univers
Qu’un monde


Après le départ du missionnaire, le chien se servit de ses pattes et de son museau pour enterrer le coffre. Puis, la bête s’étendit au-dessus de la fosse pour hurler toute la nuit le départ de son maître. Comme un chien fidèle, Boubou ne bougea plus de sa place et attendit la mort.

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